dimanche 17 juin 2012

Lu dans Sud-Ouest du 17 juin


06h00 | Mise à jour : 07h20
Par Hélène Rouquette-Valeins

Santé publique : et si le cancer du poumon était dû à la radioactivité ?

Des chercheurs de Bordeaux Gradignan ont établi que fumer fixe les particules radioactives. Reste à le faire admettre

Les chercheurs ont mis en évidence la capacité de la fumée de cigarette à concentrer la radioactivité naturelle dans les poumons.

Les chercheurs ont mis en évidence la capacité de la fumée de cigarette à concentrer la radioactivité naturelle dans les poumons. (afp)

Goudron et nicotine, levez-vous ! Vous êtes officiellement accusés depuis des années de déclencher chez les fumeurs le cancer des poumons.
Est-ce une vérité scientifiquement établie ? Rien n'est moins acquis. « Depuis 1959, on le sait : il y a de la radioactivité dans la fumée de cigarette », assurent Philippe Hubert, physicien nucléaire émérite du Centre d'études nucléaires de Bordeaux Gradignan (CENBG) (1), et ses collègues Michel Pravikoff et Vera Beillet-Kovalenko. « Cette radioactivité se fixe dans les poumons et s'y accumule avec le temps. Elle représente alors un des risques importants de développement du cancer du poumon. »
Sauf que le puissant lobby des cigarettiers américains a réussi à détourner la recherche de cette piste. Il a fallu attendre le procès qui s'est déroulé aux États-Unis en 2009 (Tobacoo Control Act) pour comprendre jusqu'à quel point : « Les grands cigarettiers y ont été condamnés à rendre publiques leurs archives. On s'est alors rendu compte qu'ils connaissaient la présence de la radioactivité dans le tabac, avaient commandé de nombreuses études pour en connaître les effets, avant de pratiquer une politique délibérée de rétention d'informations », relève Philippe Hubert.
À l'origine, il y a le radon
Radioactivité, radon, de quoi s'agit-il ? « L'origine de la radioactivité est tout à fait naturelle, explique Philippe Hubert. La radioactivité est partout, dans l'air qu'on inhale, dans l'alimentation qu'on consomme et dans l'eau qu'on boit chaque jour. Le corps humain est adapté à cette présence et on vit avec. »
Une des manifestations les plus courantes de la radioactivité naturelle est le radon. Il s'agit d'un gaz naturel inerte, dépourvu d'odeur, de couleur et de goût. Mais il est radioactif. Il est issu de la désintégration naturelle de l'uranium et du radium que l'on trouve dans les roches et dans les sols.
« Après désintégration, précisent les chercheurs, ses descendants se fixent sur les poussières et les aérosols. Ils finissent par retomber sur le sol, les arbres, les feuilles, et en particulier celles du tabac. Il se crée alors une liaison insoluble à la surface des feuilles. C'est ainsi qu'on les retrouve dans le tabac puis la fumée de cigarette et, au bout du compte, dans les poumons des fumeurs, actifs ou non. Un de ces descendants, le plomb 210 (demi-vie de 22 ans) perdure suffisamment longtemps pour s'accumuler dans les bronches. Son propre descendant, le polonium 210, émetteur de particules alpha, est classé extrêmement cancérigène par l'IARC (International Agency for Research on Cancer). »
D'après des études, le polonium 210 est le seul composant de la fumée de cigarette qui a produit des cancers par lui-même sur des animaux de laboratoire, par inhalation. D'autres recherches ont démontré que le plomb 210 se fixait préférentiellement dans les bifurcations des poumons, créant ainsi de véritables points chauds de radioactivité. Ainsi, par an les points chauds recevraient l'équivalent des radiations que subirait la peau au bout de 300 radios du torse réalisées en une année. « Cette radioactivité alpha, remarque Philippe Hubert, casse beaucoup d'ADN. » À partir de là, la mutation des cellules saines en tumeurs cancéreuses pourrait s'opérer.
La cigarette à 900 degrés
Mais les retombées naturelles de la décomposition du radon ne sont pas seules en jeu, l'action de l'homme s'en est aussi mêlée. En 70 ans, le niveau de polonium 210 dans le tabac américain a triplé. La cause en est l'utilisation intensive des engrais phosphatés par les cultivateurs de tabac. Car les phosphates qui entrent dans la fabrication des fertilisants s'avèrent très concentrés en uranium.
« C'est au moment où le fumeur allume sa cigarette que les matières deviennent particulièrement dangereuses, relèvent les chercheurs. Avec un bout de cigarette incandescent à 900 degrés, le plomb va se vaporiser sur la fumée. Les filtres de cigarettes, qui peuvent emprisonner des carcinogènes (2) chimiques, sont inefficaces contre la radioactivité. »
Comment le CENBG est-il arrivé à de telles conclusions ? Il dispose en Prisna (lire ci-contre) d'une structure à la pointe dans le domaine des mesures de radioactivité de haute sensibilité.
« Les méthodes développées, avance Philippe Hubert, permettraient de coordonner les recherches des physiciens en collaboration étroite avec, notamment, des oncologues. Un programme commun d'analyses du polonium 210 et du plomb 210 dans les tissus humains apporterait bien des lumières sur leur contribution dans le développement de cancers du poumon et éventuellement d'autres organes. Une cartographie exhaustive des distributions de cette radioactivité, une meilleure connaissance des causes et des effets seraient à portée de main. À titre d'exemple, il existe quelques études, malheureusement encore très limitées, réalisées ces dernières années aux États-Unis et semblant établir une connexion entre les maladies d'Alzheimer et de Parkinson, avec une accumulation de plomb 210 et polonium 210 dans certaines parties du cerveau. »
Et de conclure : « Ne faut-il pas se poser la question du rôle des noyaux radioactifs naturels plomb 210 et polonium 210 dans le corps humain ? »
(1) Ce laboratoire de physique est une unité mixte de recherche du CNRS et de l'université Bordeaux 1. (2) Agent capable de provoquer le cancer.

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